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DEBURAU Guitry
MONSIEUR BERTRAND : Comment peux-tu te remplacer sans t'effacer ?
DEBURAU : Comment ?
MONSIEUR BERTRAND : Oui, comment ?
DEBURAU : Par un C.
II va vers l'affiche et fait ce qu'il dît.
DEBURAU :Par un C majuscule... ici, tu vois... devant... C'est Charles Deburau qui va me remplacer.
CHARLES DEBURAU : Oh ! Papa
MONSIEUR BERTRAND : Quoi ? Ton fils ?...
DEBURAU : Je le veux !
MONSIEUR BERTRAND : Mais ...
DEBURAU : Assez !
Plus rien ! Tais-toi ! Plus rien ! Je veux recommencer !.
Aucun contrat pour lui ne sera nécessaire !
Les miens lui serviront... reprends-les du début !
Le premier, c'est... huit francs par semaine... pas plus
Et, de nouveau, c'est toi qui fais la bonne affaire !
À Charles. À partir d'aujourd'hui, Monsieur Bertrand t'engage !
MONSIEUR BERTRAND : : Mais, mon ami, c'est un enfant !
DEBURAU : J'avais son âge quand tu m'as engagé pour la première fois !
MONSIEUR BERTRAND : Oui, c'est juste... Mais souviens-toi Que toi... c'était pour figurer... Tu figurais !
DEBURAU : C'est vrai, oui, oui, c'est vrai, Oui, c'est la vérité... Mais comptes-tu pour rien, dis-moi, l'hérédité ?... Car enfin, quoi... je n'avais pas, Moi, le père qu'il a !
LAURENT : Il a raison !
ROBILLARD : Laisse-le faire... et n'aie pas peur !
MONSIEUR BERTRAND : Mais le rôle...
DEBURAU : Il le sait !
CHARLES DEBURAU : Je le connais par cœur !
DEBURAU : Tu vois, il le connaît ! D'ailleurs Il m'a soufflé vingt fois tantôt de la coulisse Des mouvements que j'oubliais ! Laisse-le faire et tu verras ! C'est moi qui soufflerai ce soir de la coulisse Les mouvements qu'il oubliera ! Et puis, ne parlons pas de mémoire... vraiment ! Tu me sembles toi-même en manquer tellement ! Crois-moi, Va, j'ai le droit De partager, ce soir, mon rôle avec mon fils !
CHARLES DEBURAU : Et si je l'ai joué tantôt un peu déjà. C'est lui ce soir encore un peu qui le jouera !
DEBURAU : Laisse-moi faire... et laissez-nous... allez-vous-en ! Laissez-nous le théâtre, à nous deus dix minutes ! Ce sera suffisant !
À l'aboyeur. Toi, prépare ton boniment, Dans une heure il débute ! À tout à l'heure, excusez-moi si je tous chasse ! À tout à l'heure, mes amis !
À Laurent. Et toi merci !
Il lui tend la main.
LAURENT : Deburau, je voudrais assister à la classe !
JUSTINE : Moi aussi !
HONORINE : Moi aussi !
MONSIEUR BERTRAND : Moi aussi !
L'ABOYEUR : Moi aussi !
DEBURAU : Ah ! quel plaisir vous me donnez ! Merci Merci ! Oui, oui, restez,.. Merci !
À Robillard Toi, file dans ma loge et prends sur ma tablette Un tout petit bâton de rouge assez foncé, Mon blanc, mon noir, ma poudre, un ou deux serre-tête, Ils sont dans une boîte, Et dans l'armoire où mes costumes sont rangés Choisis le premier à ta droite... C'est celui qu'ici j'ai porté Le jour déjà lointain qui m'a vu débuter ! Va, file ! et reviens vite !
À Charles Deburau qu'il fait asseoir en face de lui. À nous deux, viens... écoute ! Voilà... c'est très facile... il faut... comprends-moi bien, II faut, comment dirais-je, avoir... coûte que coûte... Avoir...
CHARLES DEBURAU : De la mémoire ?
DEBURAU : Oh ! non, ça, ce n'est rien !... Mais d'abord avant tout... franchement, as-tu peur De paraître en public dès ce soir...
CHARLES DEBURAU : Je...
DEBURAU : Réponds ! Réponds la vérité !
CHARLES DEBURAU : Oui, papa, j'ai très peur !
MONSIEUR BERTRAND : II a peur, oh ! tu vois !
DEBURAU : Oui, tu vois, il a peur
Déjà c'est un artiste. Il a compris, c'est bon !
Ça, c'est très bon... mais tout de même attention !...
Comprends-moi bien, ce n'est qu'une précaution !
Sois agité, nerveux, et sois-le follement
Mais dans ta loge seulement !
Là, tu ne risques rien... c'est pour te soulager !
Ça, c'est pour toi !
Mais n'oublie.
Surtout pas
Qu'il faut cesser de l'être en face du danger !
Que le public ne voie
Jamais
Ta mémoire indécise, Le souci d'être bon, la peur d'être mauvais,
Tes espoirs les plus grands, tes craintes les plus folles. Et quand on a frappé... quand le rideau s'envole
Qu'il emporte avec lui tout cela dans les frises !
En scène sois léger, sois simple, sois charmant...
Surtout ne sois jamais vulgaire !
Me sois pas trop intelligent,
C'est inutile !
Ne fais que des choses faciles

Et n'accepte jamais de rôle secondaire !
Depuis un instant, Robillard est revenu et il a placé sur une chaise, auprès de Deburau, les fards qu'il était allé chercher dans sa loge. Et, tout de suite, Deburau commence à maquiller son fils.
Quant à la pantomime, il faut, soyons sincère... Le public n'est pas exigeant...
Attends... attends... laisse-moi faire...
Il faut très peu de chose en somme pour lui plaire !
Il faut, tu vas voir, c'est un rien,
II faut que sans effort il te comprenne bien ! .
Fais-toi comprendre et ça suffit !
LAURENT : Voilà justement ton secret ?
DEBURAU : Oh ! mon secret !
Bien volontiers je le confie !
Mets-toi plus près...
Pense tout simplement, la chose est bien facile ! Ce n'est ni malin ni subtil !
Ne bouge pas, reste tranquille...
Quand on veux exprimer qu'une femme est jolie,
Pense qu'elle est jolie et fais n'importe quoi !
Quand tu veux exprimer l'amour ou la folie,
La danse, la chanson. ie plaisir ou l'effroi...
Pense tout simplement, tu me comprends bien : pense !
Pense à l'effroi, pense au plaisir, à la chanson, pense à l'amour, à la folie on à la danse
Et gesticule à ta façon !
Surtout ne copie pas les gestes que je fais !...
N'oublie pas que les professeurs sont tous mauvais
Et, quand on est doué, qu'ils sont des criminels,
Car ils n'enseigneront jamais
Hélas ! que leurs défauts !
Tous les gestes sont bons quand ils sont naturels...
Ceux qu'on apprend sont toujours faux !
Quand tu veux exprimer que tu vois quelque chose,
Une table, un fusil, une bague, une rose,
La lune ou le soleil... pour le faire très bien
Fais naturellement le geste qui te vient.
Maintenant, des détails, petits, mais importants,
Je dirai même essentiels...
Ça... pour dire un instant...
Ça... pour montrer le ciel... Quand tu veux indiquer à quelqu'un son chemin,
Plus le chemin est long... plus tu mets loin ta main...
Et tu tends bien le bras quand c'est très loin d'ici !
Un petit coup bien sec quand tu yeux dire : « Si » !...
Elève tes sourcils...
Le plus possible... assez !..
Et comme ça, trois fois, quand tu veux menacer !
Maintenant pour compter jusqu'à cinq sur tes doigts ...
CHARLES DEBURAU : Un, deux, trois..,
DEBURAU : Non, pas du tout... Un, deux, trois, quatre et cinq, tu vois
C'est beaucoup plus joli !
Maintenant quand tu lis
Que tes yeux lentement passent sur tous les mots !
Rentre un peu tes cheveux... Qui tombent sur tes joues.
Ne joue Jamais de dos Et. chaque jour sois mieux ! II le faut !
Et maintenant un dernier mot :
Adore ton métier, c'est le plus beau du monde !
Le plaisir qu'il te donne est déjà précieux,
Mais sa nécessité réelle est plus profonde... II apporte l'oubli des chagrins et des maux,
Et ça, vois-tu, c'est encor mieux !
C'est mieux que tout, c'est magnifique et tu verras, Tu verras ce que c'est qu'une salle qui rit,
Tu l'entendras !
Ça, c'est unique, mon chéri !
Oh ! le bruit que ça fait, tu verras, c'est très beau !
Imagine un très grand silence,
On vient de lever le rideau...
Un silence absolu, complet...
On entendrait voler un imprésario...
Soudain, tu viens de faire une chose qui plaît,
Un geste inattendu, comique... et ça commence...
Tout à coup !
Car ça commence d'un seul coup !
Et voilà
Le silence rompu qui vole en mille éclats !
Le public s'abandonne à l'immense rafale
Qui gronde et le secoue !...
Et le rire au galop qui traverse la salle
Emporte tout...
Les chagrins, les soucis
Et les peines, Tu comprends bien ceci ?
Comprends que c'est pour ça qu'ils viennent ! A ceux qui font sourire ne dit pas merci... Je sais, oui, mais ça ne fait rien. !
Sois ignoré !
Va donc, laisse la gloire à ceux qui font pleurer
Je sais bien qu'on dit d'eux qu'ils sont « les grands artistes »...
Tant pis ! Ne sois pas honoré !
0n n'honore jamais que les gens qui sont tristes !
Sois une paillasse, un pitre, un pantin... que t'importes
Fais rire le public, dissipe son ennui,
Et s'il te méprise et t'oublie
Va, laisse-le, ça ne fait rien
On se souvient Toujours si mal de ceux qui vous ont fait du bien !
Mais peut-être qu'un jour alors tu connaîtras Ce bonheur ignoré de la gloire éphémère,
Ce bonheur qu'on n'achète pas Et peut-être qu'un jour tu seras populaire !
Et ça, vois-tu, c'est presque aussi bon que l'amour !...
Figure-toi qu'un jour Un homme, un très pauvre homme est venu me chercher Parce que son enfant peut-être allait mourir ! Il m'a dit : « Oh ! Monsieur, venez ! » Venez jusque chez moi, » Je vous en supplie, et tâchez » De le faire sourire ! » J'y suis allé ... J'y suis allé pendant un mois, Tous les matins à son réveil ! Quel public ! Je n'en ai jamais eu de pareil ! C'était ce petit gosse, un si grand connaisseur... II savait si bien rire... Que lorsqu'il put quitter son lit, Tout à fait rétabli, J'obtins, moi, de son père L'autorisation De lui donner pour mon plaisir quelques représentations supplémentaires !
Et maintenant, messieurs, voici mon successeur ! Accueillez, s'il vous plaît, ce petit concurrent, Car je vous offre, en vous l'offrant, Ma création la meilleure !
Deburau remet à ses camarades le nouveau petit Pierrot qu'il vient de faire, Machiniste, au rideau ! Mais d'abord un seul mot... Pourquoi n'as-tu pas pu relever le rideau Lorsqu'il est tombé tout à l'heure ?
LE MACHINISTE : Le fil s'était cassé
DEBURAU : Le fil s'était cassé... de lui-même... (à Robiliard.) tu vois ! Tu vois mon horoscope... il n'avait pas menti !
LE MACHINISTE : Ma foi, je ne sais trop ni comment ni pourquoi...
DEBURAU : Laisse, ne cherche pas... moi j'étais averti qu'il devait un jour se casser ! Et ce soir, il m'a dit: « Assez ! » Vous n'avez entendu, je pense, aucune plainte Et le mieux que j'ai pu, j'ai caché mon émoi, Mais lorsque ce rideau léger de toile peinte Est descendu ce soir entre la salle et moi Il m'a semblé si lourd, II avait un tel poids, Que j'ai très bien compris que c'était pour toujours Et qu'il est descendu pour la dernière fois ! Il est tombé comme un couteau de guillotine ! Pauvre rideau fané que je trouve joli, Tu sers de couverture au livre de ma vie ! C'est le dernier feuillet d'un livre qu'on termine Et le livre achevé s'est refermé tout seul ! Pour un soldat, c'est un drapeau Que l'on jette sur son cercueil ... Pour nous, c'est un grand voile noir ! On pourrait déroger à cette loi commune Et j'aimerais assez que l'on mît ce rideau Sur mon cercueil, le soir Où j'irai dans la lune ! Le rideau, s'il te plaît, Pour un nouveau Pierrot qui débute ce soir ! Regardez bien... vous allez voir... Le rideau s'est levé d'un seul coup. Oh ! C'est parfait... Il était descendu de lui-même pour moi ! Mais toi, Vois donc comme il t'accueille... Ma parole, on dirait qu'il est monté tout seul ! Allons ! File sur scène ! Allez ! Dépêche-toi !
L'enfant a escaladé les bancs et le piano qui îe séparaient théâtre. Il gigote à présent sur scène...
Oh ! Comme il court !... Et qu'il est jeune ! Il est ravi ! Oh ! Regardez-le, c'est charmant !
ROBILLARD : Mais tu pleures, pourquoi ?...
DEBURAU : Parce que je l'envie ! Il va connaître tant de joies ! Fais ton entrée ! Allons ! Vite... du côté cour ! Entre en dansant... non, non, tu cours... Entre en dansant ! Voilà... c'est gai... C'est ravissant ! Approche encor un peu ! Prends tout à fait ma place... elle est juste an milieu ! Et maintenant, dis-moi bonjour ! Un grand bonjour !! Penses-y bien... Voilà, c'est ça... Très bien !
LAURENT : Dis-lui comment tu fais pour exprimer la faim !
DEBURAU : Ah ! oui ! Dis que tu meurs de faim ! Non, c'est trop gros, fais-le plus fin ! Voilà, très bien
ROBILLARD : Et le remords d'avoir volé ?...
DEBURAU : Ah ! oui, c'est vrai, mais ça, c'est un peu compliqué... Approche-toi... plus près... je vais te l'expliquer ! Voilà... lorsque tu veux ...
MONSIEUR BERTRAND : Psst... Amédée ! Dis donc...
L'ABOYEUR : Patron ?...
MONSIEUR BERTRAND : Puisque la chose est décidée, Enfle ton boniment, n'est-ce pas... de grands mots... Et présente-le bien comme un nouveau Pierrot Qui doit détrôner ies anciens !
L'ABOYEUR : Je peux parler du père aussi ?....
MONSIEUR BERTRAND : Pour quoi faire ? Lui, c'est fini ! Occupons-nous donc du présent ! Si tu parles du père, alors, oui... parles-en Pas pour dire que son fils est aussi bien que lui ! Et tu peux même aller plus loin... Dis-leur qu'il le rappelle avec trente ans de moins ! Dis-leur que le talent peut être héréditaire Et qu'il travaille avec son père Depuis déjà plus de deux ans ! Et trouve encor Un petit détail amusant, Tiens, par exemple, celui-ci... Ne soit pas trop précis, Mais dis-leur que j'ai pu l'obtenir à prix d'or ! Va ... vite !
DEBURAU : Envoyez le rideau ! Le cours est terminé ! Vous pourrez commencer, messieurs, quand vous voudrez.
ROBILLARD : C'est très bien, mon vieux Deburau !
DEBURAU : Quoi donc ?
ROBILLARD : Ce que tu viens de faire ! D'avoir donné tous tes moyens à ce petit !
DEBURAU : C'est le devoir d'un père !
LAURENT : Ça ne fait rien, C'est très, très bien De lui avoir tout dit !
JUSTINE : Oui, toi qu'on a connu jadis si réservé... C'est étonnant !
ROBILLARD : Un autre aurait pu conserver Plus d'un secret certainement !
L'aboyeur est sorti en emportant l'affiche.
LAURENT : Oui, c'est très bien, très bien de lui avoir tout dit !
ROBILLARD : C'est surprenant !
LAURENT, à Charles Deburau : Eh Bien, es-tu content, Mon petit ?
CHARLES DEBURAU : Oh ! oui !
DEBURAU à lui-même. Et je ne lui ai pas tout dit !
JUSTINE, à Charles Deburau : Ça te va bien, tu sais, ce costume.
HONORINE : Adorable !
JUSTINE : Oh ! qu'il est mince ...
HONORINE : Et qu'il est souple !
JUSTINE : Il est charmant !
HONORINE : Tu vas voir ce succès, mon petit...
JUSTINE: Sûrement !
HONORINE : Oh ! ce qu'il'est gentil !..
JUSTINE : Quel âge as-tu ?
CHARLES DEBURAU : Seize ans !
DEBURAU : Viens vite, mon petit !... Viens vite... elles t'impressionnent ! Il ne faut pas en avoir peur... va... laisse-les !... Je fais en ce moment, vois-tu, Mes comptes... oui... j'additionne, Je multiplie et je soustrais... Je regarde ma vie et la passe en revue... Eh ! Bien, deux choses seulement subsistent : L'amour et le travail ! Et je ne suis pas triste Cependant qu'aujourd'hui tous deux ils m'abandonnent Ayant fait l'un et 'autre autant que je l'ai pu ! Petit, j'ai blasphémé Quand j'ai dit qu'être aimé Ça valait mieux que tout ! Et je m'étais trompé. L'amour sans le travail... Mon Dieu... ce n'est pas mal Évidemment ! Mais c'est bien peu ! Le travail sans l'amour, ça ne vaut guère mieux ! Et si tu veux connaître un jour le paradis, Je suis sûr aujourd'hui de ce que je te dis, Tâche d'avoir les deux ! Tu travailles ce soir pour la première fois ! C'est déjà magnifique, eh ! bien, Pierrot, crois-moi, Si tu veux que ce soit vraiment un très grand jour, Le plus beau de ta vie, Quand ce sera fini, Laisse-moi rentrer seul... et va faire l'amour !
LA VOIX DE L'ABOYEUR : Mesdames et Messieurs...
La musique joue au dehors.
HONORINE : Chut ! Chut ! Attention... Silence ! Le boniment commence !
JUSTINE : Ouvre pour qu'on entende mieux...
LA VOIX DE L'ABOYEUR : Mesdames et Messieurs ! J'apporte à votre connaissance Un fait nouveau Et d'une très grande importance. Nous avons un nouveau Pierrot Qui va remplacer comme il faut... Je sais, Messieurs, ce que j'avance.., Notre célèbre Deburau ! Ce n'est pas de l'outrecuidance... Nous connaissons votre exigence... Et nous savons ce qu'il vous faut ! Nous ne réclamons pas, Messieurs, votre indulgence... Nous n'en voulons pas aujourd'hui ! Nous avons la ferme espérance Que lorsqu'il paraîtra, vous crierez tous : « C'est, lui... « C'est Deburau... » Bravo ! » Et pourtant, non, Messieurs... Ce n'est pas Deburau, mais c'est peut-être mieux ! Et leur très grande ressemblance Dont vous allez être surpris N'est pas le résultat d'un banal artifice... Et vous conviendrez bien qu'elle n'a pas de prix Quand vous saurez que c'est son fils ! Il en a, Messieurs, l'apparence ! II possède sa nonchalance, Son élégance Et sa gaîté ! Donnez-lui votre confiance, Car d'avance Il l'a méritée. Vous le verrez dans tous ses rôles... Dans tous il vous plaira, j'espère... Et vous direz que c'est son père Avec trente ans de moins, Messieurs, sur les épaules !
Depuis quelques instants déjà, Charles Deburau a remarqué que son père n'écoutait pas ce boniment avec beaucoup de plaisir... Il vient à lui très doucement, se penche sur son épaule et lui dît à l'oreille...
CHARLES DEBURAU : Non, non, ce n'est pas vrai, tout ça, c'est faux, papa ! Pourquoi mentir ainsi... Pauvre homme, il est fou, n'est-ce pas ?
DEBURAU : Mais non !
CHARLES DEBURAU : Mais si ! Puis-je avoir ton succès, voyons, moi, dans tes rôles ?...
DEBURAU : Pourquoi ?... Sait-on jamais... le public est si drôle !
LA VOIX DE L'ABOYEUR : Bonnes gens qui passez... Le spectacle va commencer !
L'orchestre attaque une marche brillante et c'est LA FIN de Deburau. Rideau